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 Cours de philosophie pour classes terminales en ligne

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MessageSujet: Cours de philosophie pour classes terminales en ligne   Cours de philosophie pour classes terminales en ligne I_icon_minitimeDim 15 Avr - 18:20

Cours de philosophie concernant le programme des séries technologiques




1. La culture


1.1. Qu’est-ce que la culture ?
Le mot culture dérive du verbe latin colere qui signifie, dans son sens premier, « cultiver la terre », c’est-à-dire la travailler pour qu’elle donne des fruits. Mais colere signifie aussi en latin « habiter », sens étymologique que l’on retrouve dans les mots français colonisation, colonie (le colon est celui qui va habiter un autre pays que le sien). Enfin ce verbe possède un troisième sens, « honorer les dieux », que l’on retrouve dans le terme français « culte ». Par extension de sens, le mot culture a désigné ensuite non plus les fruits de la terre mais ceux issus des dispositions intellectuelles de l’homme, par l’entremise de son travail de fabrication et de création. La culture désigne alors tout ce que l’homme ajoute à la nature, toutes les productions qui lui permettent d’habiter le monde : les créations de l’urbanisme, les travaux scientifiques, artistiques, philosophiques, historiques. Le langage devient le « milieu » par excellence de la culture humaine car par lui s’incarnent les représentations et s’opère la transmission des savoirs. Historiquement, c’est toutefois l’activité religieuse qui a été le premier vecteur de culture des peuples, là où le cultuel s’est prolongé en culturel. Lorsqu’on envisage les productions culturelles d’un peuple dans leur unité et leur histoire, on parle alors de civilisation, terme dont la connotation très positive vient du fait qu’un peuple « civilisé » est toujours conçu comme dépositaire d’une culture riche et développée.

Par une nouvelle extension de sens, le mot culture a donné enfin l’adjectif cultivé, pour désigner cette fois non plus un peuple, mais l’étendue des connaissances que peut posséder un homme, dans les domaines les plus variés. Un « homme cultivé » n’est pas nécessairement intelligent, mais il possède, selon l’usage courant, un savoir étendu et varié.



1.2. Culture et inégalités
Les problèmes philosophiques que pose la notion de culture ne peuvent être séparés de la relation que celle-ci entretient avec la notion de nature. Ces deux termes ne semblent pouvoir être définis que l’un par rapport à l’autre : la nature est ce qui est donné dans l’univers, présent et déjà là, hors de toute intervention humaine. La culture, c’est ce que l’homme ajoute à la nature, par son travail et son histoire. Au XVIII° siècle, Rousseau a conféré à cette relation un tour polémique, en se demandant dans Le Discours sur l’origine de l’inégalité, si la culture ne venait pas, en modifiant le donné naturel, introduire de l’inégalité parmi les hommes, face à une naturalité de l’homme qui serait, au départ, égalitaire. Rousseau a soutenu que ce n’est pas la nature qui produit de l’inégalité, mais bien la culture. En civilisant les hommes, la société a généré de l’inégalité et, souvent, des différences qui passent pour naturelles, alors qu’elles « sont uniquement l’ouvrage de l’habitude et des divers genres de vie que les hommes adoptent dans la société ». Par cette affirmation, il accorde à l’éducation toute son importance, en montrant qu’elle n’influence pas uniquement l’épanouissement des esprits, mais aussi des corps. Un corps robuste ou délicat l’est moins en raison de sa constitution naturelle, donnée une fois pour toutes, qu’en fonction de la manière, dure ou délicate, selon laquelle il a été élevé. L’argumentation de Rousseau s’appuie ici sur le caractère le plus manifeste de la culture, à savoir l’extrême variété de ses manifestations, des comportements et des manières de vivre que les différentes sociétés humaines nous donnent à voir. En inversant ainsi la perspective traditionnelle, à propos de l’origine de l’inégalité, celui-ci engage par-là même une réflexion d’ordre politique. Si les inégalités naturelles, certes inévitables, sont minimes, celles qu’institue une société peuvent être supprimées, et avec elles les injustices qu’elles entraînent. Nul pouvoir et nul privilège social ne peuvent donc s’appuyer sur une soi-disant supériorité naturelle pour justifier leur exercice, et ils peuvent être contestés pour le motif qu’ils reposent en réalité sur l’arbitraire de la culture. Les acteurs de la Révolution française s’en souviendront.

1.3. Toutes les cultures se valent-elles ?
Le développement de l’ethnologie, au XX° siècle, c’est-à-dire la science des cultures, notamment celle des sociétés primitives, a permis de poser d’autres problèmes. Lorsque, en effet, à la manière d’un ethnologue, on observe les différentes cultures qui peuplent le monde, on ne peut être que pris d’étonnement face à la très grande diversité des productions, des modes de vie, des croyances qui forment la trame de chacune d’elles. Ces différences ne portent pas uniquement sur le style de l’urbanisme, les courants artistiques ou les rites religieux. Toutes les dimensions de la vie humaine entrent dans cette pluralité qui est la marque de la culture par opposition à l’universalité des lois de la nature. Ainsi les goûts alimentaires, l’humour, la manière de s’habiller, etc. sont parfois radicalement opposés d’un peuple à l’autre. Face à cette diversité il est alors tentant d’établir une hiérarchie entre les cultures, et de poser la sienne propre comme la « meilleure », la plus évoluée, la plus rationnelle. Cela a toujours été, d’après Lévi-Strauss, la tentation de l’Occident, tentation concrétisée par l’hégémonie coloniale des puissances européennes, chargée de « civiliser les sauvages », c’est-à-dire en réalité d’imposer sa culture en lieu et place de celle des peuples colonisés. Au XX° siècle, la dénonciation de la domination culturelle de l’Occident a pris le nom de « relativisme culturel ». Ce courant de pensée tente de démystifier l’idée de progrès inhérente à la vision évolutionniste des cultures. Il insiste sur le fait que le progrès scientifique et technique est loin d’entraîner un progrès parallèle dans les autres domaines, en particulier moral et social. Strauss a appelé le « faux évolutionnisme ». Ce qu’il nomme ainsi concerne cette « fausse conception de l’histoire » qui « traite les différents états où se trouvent les sociétés humaines, tant anciennes que lointaines, comme des stades d’un développement unique ». Une norme de perfection humaine étant posée, (l’homme occidental), on peut alors penser les sociétés « primitives » comme inférieures, car en « retard ». De là le danger de tout humanisme qui prétend régler ses valeurs sur la figure d’une définition universelle de l’homme, et qui cache en réalité l’objectif de vouloir en réalité hiérarchiser les cultures et les sociétés éloignées dans l’espace.


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MessageSujet: Re: Cours de philosophie pour classes terminales en ligne   Cours de philosophie pour classes terminales en ligne I_icon_minitimeDim 15 Avr - 18:23

2. Les échanges






2.1. Les différents sens du mot "échange"

Utilisé au singulier, le mot échange désigne le fait de donner une chose contre autre chose. Ainsi un enfant peut échanger une image contre une autre, avec un de ses camarades, collectionneur comme lui. C’est donc d’abord un principe de réciprocité voulu et admis qui fonde l’échange. Mais en utilisant ce mot au pluriel, et en parlant des échanges, on se réfère plus précisément à un ensemble organisé de transactions. Il est habituel de définir cet ensemble comme celui des échanges économiques, où, à l’intérieur d’une société, les hommes échangent le fruit de leur travail contre celui des autres. Le travail apparaît alors comme l’objet principal de l’échange, et comme le moteur des interpédendances qui lient les hommes au sein d’une société. Mais si le résultat du travail constitue ce qui est échangé, la monnaie est ce qui rend possible l’échange lui-même. En effet, nous dit Aristote, elle seule rend les choses « commensurables » entre elles, ce qui signifie qu’elle permet d’instaurer un système de mesure commun entre des biens de nature différente. Tourné vers l’échange, le travail est ainsi facteur de coordination sociale.





2.2. L’économie, science des échanges monétaires

Les échanges faisant intervenir travail et monnaie ont donné lieu à l’apparition d’une science qui en étudie les lois, l’économie. Le mot économie dérive du grec oikios, « maison » et nomos, « loi ». Le terme d’oikionomia désignait d’abord pour un grec de l’Antiquité l’administration de la maison, l’organisation familiale, la gestion des affaires domestiques par le chef de famille. Cette notion a donc au départ un caractère essentiellement privé. Pourtant, à partir du IV° siècle av. J-C, on utilise aussi le mot économie pour parler de l’administration de la Cité, et Platon dans Le Politique affirme qu’il n’y a pas de différence entre la gestion d’une grande maison et celle d’une petite Cité. De ce fait l’art de gérer (la maison ou la Cité) est appelé indifféremment « art royal », « art politique » ou « art économique ». Ce n’est qu’au XVI° siècle que le terme économie désignera la science des échanges, hors de la sphère privée.



2.3.La conception capitaliste de l’échange


Adam Smith, dans la Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, affirme que le moteur de la société, c’est avant tout l’enrichissement et l’accumulation des richesses. Toute la pensée classique, à la suite de Smith, est un encouragement à la poursuite des richesses. Chaque citoyen, chaque individu, doit se préoccuper de sa propre fortune matérielle sans tenir compte des autres, et seule cette poursuite incessante peut, de manière invisible, contribuer à la prospérité de tous et donc au meilleur des mondes possibles. Adam Smith compare cette fin heureuse et collective, à laquelle doit aboutir le capitalisme, à une « main invisible » qui guide les hommes, malgré eux et à leur insu, à concourir à la prospérité de tous, en ne s’occupant que de la leur. Cette conception s’appuie elle-même sur un principe qui est un véritable « axiome du capitalisme classique » : la somme des intérêts individuels correspond, en règle général, à l’intérêt de la collectivité.
Mais pour Smith, la question qui se pose alors est celle de savoir quelle est l’origine de la richesse. Sa réponse est claire : c’est le travail, qui est source de toute richesse et de toute valeur ; or le travail dépend lui-même de son mode d’organisation, dont la forme la plus efficace est la division du travail. Celle-ci, écrit Smith, transforme le monde en un vaste atelier, dans lequel chacun développe ses compétences et possède sa spécialisation. Smith, économiste, s’intéresse surtout à ce qui doit déterminer le prix des objets. Le commun dénominateur entre deux objets différents, c’est la quantité de travail qu’ils contiennent. De cette conception de la « valeur » découlent les principes capitalistes qui gouvernent la répartition du revenu : le salaire désigne la rémunération du travail, et il correspond à ce qui est nécessaire pour que l’ouvrier puisse assurer sa subsistance ; le profit, rémunération du capital, est un prélèvement sur la valeur créée par le travail ; la rente, enfin, rémunère le propriétaire foncier qui autorise que l’on mette sa terre en culture.



2.4. La critique marxiste du capitalisme

La critique de la théorie capitaliste traverse toute l’œuvre de Karl Marx, au XIX° siècle, et trouve son point d’achèvement dans Le Capital. Marx reconnaît la vigueur et l’adaptabilité exceptionnelles du capitalisme. Mais pour lui ces propriétés ne sont pas le signe de son efficacité et de sa nécessité. Elles sont plutôt le résultat de ses capacités d’exploitation de la classe ouvrière, notamment à travers une rationalisation à outrance de son organisation, qui réduit l’ouvrier à l’état d’esclave. A cause d’une trop grande division des tâches dans les usines destinée à augmenter la productivité, l’ouvrier perd la conscience de l’unité de son travail, qui n’a plus de signification pour lui. Quant au capital lui-même, il n’est en définitive que du travail accumulé, du « travail mort », profitant uniquement aux détenteurs des moyens de production. Marx remet en cause les deux fondements du capitalisme classique, à savoir l’idée selon laquelle l’intérêt de la collectivité se réduit à la somme des intérêts individuels. Mais aussi l’ordre libéral qui le sous-tend, et qui s’appuie sur le principe de la propriété privée des moyens de production, et la non-intervention de l’Etat dans le domaine économique.








2.5. N’y a-t-il d’échanges qu’économiques ?

Les analyses précédentes nous amènent à concevoir les transactions économiques comme le seul véritable modèle de l’échange. Echanger son travail contre celui d’un autre, c’est admettre qu’on n’a rien sans rien, et que tout se paie. Le don apparaîtrait alors comme l’antithèse de l’échange, puisque, par définition, lorsqu’on donne on n’attend rien en retour. Marcel Mauss a montré que cette vision des choses était fausse, et que le don est au contraire la plus ancienne forme de l’échange. Lorsqu’on donne, par exemple lorsqu’on fait un cadeau, on attend en retour, selon un système implicite et très codifié par la société. Mais si le don est aussi un échange déguisé, alors doit-on dire que rien n’échappe à l’échange ?
En réalité la notion d’échange dépasse de beaucoup la dimension purement économique. Comme l’a montré en particulier l’ethnologue français Claude Lévi-Strauss, on n’échange pas seulement des biens ou des services, mais à travers eux, on diffuse des symboles, du sens, des significations, des mots. Autrement dit, derrière tout échange économique se profile un processus de communication.


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MessageSujet: Re: Cours de philosophie pour classes terminales en ligne   Cours de philosophie pour classes terminales en ligne I_icon_minitimeDim 15 Avr - 18:28

3. L’art et la technique



3.1. Les deux sens du mot « art »

Le terme « art » s’utilise dans des domaines qui semblent très éloignés les uns des autres. On parle aussi bien de l’ « art militaire », des « arts martiaux » que de l’ « art culinaire ». Toutes ces expressions dérivent de son sens ancien, celui du mot latin ars et du terme grec techné, qui désignaient dans l’Antiquité un savoir-faire, la maîtrise accomplie d’une technique, en particulier celle des artisans. Dans ce sens ancien, tout domaine qui nécessite la maîtrise d’un savoir-faire peut devenir un art, c’est-à-dire un ensemble de techniques. Victor Hugo parle même dans un de ses poèmes, de « l’art d’être grand-père », c’est-à-dire de ce savoir-être qui doit conférer à cette figure familiale toute sa dimension.

Pourtant, aujourd’hui, lorsque nous parlons de l’Art, nous réservons ce terme à la désignation des Beaux-arts, tels que la peinture, la sculpture, la musique etc. Dans ce sens, l’activité artistique s’oppose à l’activité artisanale, qui est, elle, tournée vers la production d’objets utilitaires. Et si l’artiste a besoin de maîtriser une certaine technique, celle-ci ne suffit pas à définir la spécificité de l’activité artistique.



3.2. Arts libéraux et arts serviles

Ce n’est qu’à la fin du XVIII° siècle, quand apparaît le mot technique pour désigner les procédés matériels qui interviennent dans un art, qu’une distinction nette sera faite entre l’art et la technique. A partir de cette date le mot « art », tout court, est compris comme désignant les Beaux-arts, dits aussi « arts libéraux », c’est-à-dire « dignes d’occuper les loisirs d’un homme libre ». Le mot technique va désigner alors tous les procédés d’action et de fabrication, mais surtout ceux qui appliquent un savoir scientifique, et pour lesquels l’enseignement théorique se joint à un apprentissage pratique. La technique est alors qualifiée « d’art mécanique » ou, plus péjorativement « d’art servile », car l’artisan construit des objets qui dépendent des besoins matériels de l’homme, auxquels ils sont « asservis ». Diderot, au XVIII° siècle, signalera combien il est injuste selon lui de porter aux nues les artistes et de mépriser les artisans, alors que ces derniers sont bien plus utiles à la société que les premiers nommés.


3.3. La réflexion sur le sens de l’art

La réflexion philosophique sur le sens de l’art est particulièrement est tributaire de la distinction précédente et de sa lente mise en place. Dans l’Antiquité grecque, la notion de techné mêle et désigne encore sous un même vocable ce que nous appellerons plus tard, on l’a vu, les « Beaux-arts », par opposition à l’artisanat. Malgré tout, la spécificité esthétique liée à la techné (le savoir-faire) d’un sculpteur ou d’un peintre par rapport à celle d’un cordonnier ou d’un potier est déjà clairement perçue. La tradition grecque considère alors que les beautés naturelles sont le modèle supérieur de l’art. Cette supériorité, affirmait déjà Platon dans La République, provient du fait que le modèle, la nature, est plus réel que la copie, laquelle n’est qu’un « simulacre », pâle imitation faite avec des moyens qui nous donnent l’illusion de la ressemblance. Ainsi, entre la beauté d’un coucher de soleil et la beauté d’un tableau représentant ce même coucher de soleil, il y a bien une infériorité concernant l’ « être » ou le degré de réalité de la copie par rapport à son modèle. Un tableau n’est en effet qu’un ensemble de couches et de taches de peinture, qui, sous un certain angle de perspective et un certain degré d’éloignement, nous donne l’illusion d’une présence.



3.4. La théorie du génie : l’artiste s’oppose à l’artisan

La réflexion philosophique s’est attachée, avec Kant, à préciser la nature du travail de l’artiste. Kant, dans La Critique de la faculté de juger reprend à son compte le mot latin genius qui désignait, dans l’Antiquité, la divinité qui présidait à la naissance, l’esprit particulier qui avait été donné à un homme, pour le protéger, le guider et lui inspirer des idées originales. En accord avec cette étymologie, Kant appelle alors génie artistique « le talent de produire ce dont on ne peut donner de règle déterminée ». Ce talent ne se manifeste pas à travers l’application d’une méthode (ou règle) à exécuter, qui aurait été apprise auparavant. C’est ce qui le différencie de l’habileté, qui désigne au contraire l’adresse avec laquelle un artisan suit des règles très précises pour produire un objet.
Le terme « habileté » convient donc seulement à l’artisan qui a appris des « recettes » ou techniques bien déterminées pour fabriquer des poteries ou des meubles, par exemple. Le génie, au contraire, est cette faculté de produire ce pour quoi aucune règle, aucune méthode, ne lui ont été transmise. A partir de quoi l’artiste va-t-il alors créer ses œuvres ? Précisément, à partir de rien qui soit clairement et a priori formulable, nous dit Kant, puisqu’il va inventer, en même temps qu’il produit son œuvre, la règle nouvelle qui en organise la progression.
Il y a donc de la nouveauté dans ce que produit le génie, puisque son œuvre est « origine première » ; c’est pourquoi sa qualité principale est « l’originalité ». Mais cela signifie aussi qu’il y a dans le génie un élément naturel que nous appelons un « don » : l’artiste élabore son œuvre spontanément, sans avoir conscience d’inventer les règles qui ordonnent sa création.


3.5. Le souci de la vérité

L’art du XX° siècle ne se pense plus désormais dans son opposition au travail du technicien ou de l’artisan, comme chez Kant, mais par rapport à une nouvelle problématique, celle de la vérité. Les grandes théories sur l’art sont en effet désormais marquées par un abandon progressif de la réflexion sur le Beau, pour privilégier celles qui tournent autour de la relation entre art et vérité. La phrase quasi prophétique de Paul Cézanne, extraite de sa correspondance, « Je vous dois la vérité en peinture et je vous la dirais », annonce en effet la prééminence de cette problématique. Alors que le Platonisme avait disqualifié l’art, accusé de « mensonge », la modernité va considérer que l’art est un moyen privilégié d’accès au réel, à la fois comme représentation et comme interrogation critique sur le monde. A la suite de Hegel, Bergson, emprunte cette fois et soutient, dans La pensée et le Mouvant, que la vraie finalité de l’art n’est pas de démontrer, comme le fait la science, mais de montrer. Montrer ce qui « dans la nature et dans l’esprit…ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience ». Selon lui, c’est paradoxalement par l’entremise de l’art « qui fait la plus large place à l’imitation », c’est-à-dire la peinture, que l’artiste peut nous faire accéder à l’invisible. C’est par l’imitation même des choses visibles que l’artiste va dépasser la pure et simple imitation : les grands peintres donnent à voir ce qui ne se voit pas, par le visible même, en nous montrant des aspects de la nature « que nous ne remarquions pas ».
Cette « quête du réel » qu’est l’art, pour de nombreux théoriciens, est mue par une inquiétude, dont les œuvres portent témoignages, et qui rapproche considérablement l’activité artistique de l’entreprise philosophique.
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MessageSujet: Re: Cours de philosophie pour classes terminales en ligne   Cours de philosophie pour classes terminales en ligne I_icon_minitimeDim 15 Avr - 18:35

4. La vérité


4.1. Qu’est-ce que la vérité ?

La notion de vérité est traditionnellement définie comme l’adéquation ou l’accord d’un discours avec ce dont il est l’objet. Ainsi, on dira que la vérité historique est l’accord du récit de l’historien avec la réalité du passé. Les adjectifs « vrais » et « faux » sont donc des valeurs théoriques et qualifient des propositions, par opposition aux valeurs morales du « bien » et du « mal » qui portent sur l’action humaine. Par définition, le vrai est universel, c’est-à-dire qu’il doit être admis par tout homme, alors que l’opinion est changeante et variable, suivant les individus. Toutefois l’amplitude du concept de vérité nécessite de distinguer deux modes d’accès au vrai. Les philosophes du XVII° siècle, et en particulier Descartes, distinguent en effet la vérité d’évidence, qui désigne le caractère intuitif de la vérité, saisie de manière directe, sans passer par les voies de la démonstration. On dira ainsi par exemple : « Il est évident que j’existe » ; « il est évident que le soleil va se lever demain », etc. Alors qu’on démontrera un théorème de mathématique comme celui de Pythagore, à l’aide d’une chaîne de raisonnements. Dans ce second cas on parle de vérité-déduction ou démonstrative.



4.2. Quelle est la valeur des vérités scientifiques ?

Au XVIII° siècle, le philosophe anglais David Hume, interroge la valeur des vérités de la physique. Celles-ci prétendent dépasser la simple observation concrète des phénomènes naturels pour nous livrer des lois qui expriment des rapports de causalité universels et nécessaires. Or comment le physicien fait-il pour établir de tels rapports ? Lorsqu’un chimiste nous dit que tel phénomène, par exemple l’ébullition de l’eau, est dû à telle cause (la chaleur), il établit une relation de cause à effet qui s’exprime sous la forme d’une loi simple : « l’eau bout à cent degrés ». Comment pouvons-nous être sûrs pourtant, qu’à chaque fois que nous porterons de l’eau à cent degrés elle se mettra à bouillir ? Pour rendre encore plus sensible cette question Hume va choisir un exemple emprunté à la connaissance commune, celle qui nous fait dire : « le soleil se lèvera demain ». Comment la raison sait-elle que le soleil se lèvera demain ? Comment peut-elle aujourd’hui prouver qu’il se lèvera bien demain ? Ces questions sont légitimes car celui qui affirme que le soleil se lèvera demain n’a pas plus d’arguments pour le prouver que celui qui affirmerait le contraire. On ne peut se contenter ici de répondre : « parce qu’on le voit », étant donné qu’il s’agit d’un événement qui ne s’est pas encore produit et qui est donc « au-delà du témoignage actuel des sens ». Abandonnant cet exemple, Hume expose alors clairement la nature du problème en jeu : comment établissons-nous cette liaison nécessaire qui transforme un phénomène en « cause » et un autre en « effet » ? La réponse tient en ces termes : la connaissance de cette relation naît de l’expérience uniquement et non pas d’un raisonnement. Or seuls les raisonnements peuvent nous livrer des résultats absolument nécessaires, comme en mathématiques, résultats qui n’ont pas besoin d’être confrontés à l’expérience et ne risquent pas de subir son démenti. C’est pourquoi on doit dire que les raisonnements nous livrent des vérités a priori, c’est-à-dire indépendant des sens. Si ce ne sont pas eux qui établissent la relation de la cause et de l’effet mais l’expérience sensible, qu’est-ce qui fonde alors la certitude de l’invariabilité des lois physiques ?
Pour Hume, celle-ci est en réalité fondée sur l’habitude. Nous avons eu l’habitude d’observer une certain nombre de fois la conjonction de deux phénomènes quelconques et nous généralisons, sous l’effet de cette fréquence, cette conjonction que nous proclamons loi universelle et relation invariable de cause à effet. Cette généralisation, que les physiciens appellent induction, n’est en rien assurée et ne nous garantit pas, selon Hume, de l’universalité et de la permanence de ce que nous appelons en physique, la « vérité ».


4.3. Les vérités mathématiques sont-elles le modèle de toute vérité ?

L’analyse de Hume peut facilement aboutir à un scepticisme intégral, c’est-à-dire à une position philosophique qui consiste à affirmer que nous ne pouvons rien connaître de certain et que tout ce que nous croyons tenir pour vrai (en particulier par l’intermédiaire de la science) n’est qu’interprétation et généralisation abusive. Toutefois ni Hume ni aucun de ses contemporains ne remettent en cause la valeur des vérités démonstratives que nous offrent les mathématiques. La fascination pour cette discipline date de l’Antiquité et Platon lui-même l’exprimait en mettant au-dessus de l’entrée de son école, l’Académie, la phrase « que nul n’entre ici s’il n’est géomètre ». La rigueur d’une démonstration d’Euclide ou de Thalès, et surtout le fait que le raisonnement logique du mathématicien n’emprunte rien à l’observation extérieure, offre en effet l’idéal d’une connaissance interne, close sur sa propre perfection, c’est-à-dire sa cohérence interne. C’est pourquoi la vérité mathématique est-elle souvent définie, de manière très concise comme « l’accord de la pensée avec elle-même ».
Mais comment articuler les mathématiques à la physique ? C’est le problème que se pose déjà le XVII° siècle qui comprend qu’une physique rigoureuse doit décrire des quantités, faire des mesures, établir des rapports numériques. C’est pourquoi Galilée, en 1623, écrit dans l’ouvrage L’Essayeur : « La philosophie est écrite dans cet immense livre qui se tient toujours ouvert devant nos yeux, je veux dire l’Univers, mais on ne peut le comprendre si l’on ne s’applique d’abord à en comprendre la langue et à connaître les caractères avec lesquels il est écrit. Il est écrit dans la langue mathématique et ses caractères sont des triangles, des cercles et autres figures géométriques, sans le moyen desquels il est humainement impossible d’en comprendre un mot. Sans eux, c’est une errance vaine dans un labyrinthe obscur ».

Cette citation pose que les mathématiques sont le langage de la nature, langage que l’homme qui l’étudie devra s’efforcer d’assimiler et de comprendre. Mais les physiciens du XX° siècle l’interpréteront différemment. Pour eux, les mathématiques sont plutôt le langage de l’homme dans lequel devront être traduits les phénomènes de la nature pour devenir compréhensibles. Cette position considère que les mathématiques sont une pure invention de l’homme, et que les objets mathématiques n’ont d’autres existences que comme symbole et texte écrit.
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MessageSujet: Re: Cours de philosophie pour classes terminales en ligne   Cours de philosophie pour classes terminales en ligne I_icon_minitimeDim 15 Avr - 18:38

5. La raison et la croyance




5.1. Qu’est-ce que la raison ?

La définition la plus célèbre qui ait été donné de la raison, est certainement celle proposée par Descartes, en 1637, dans le Discours de la méthode. La raison est une faculté de l’esprit humain, nous dit-il, à savoir la « puissance de bien juger », c’est-à-dire la capacité de « distinguer le vrai du faux ». Cette définition, qui met l’accent sur la clairvoyance de l’esprit pour apercevoir la vérité, clairvoyance identifiée par Descartes au « bon sens », peut être complétée par d’autres définitions. Dans la philosophie grecque la raison est nommée logos, terme qui désigne en même temps la parole. Pour les Grecs en effet, la raison n’est pas dans les choses (les phénomènes naturels par exemple, qui peuvent être incohérents, aberrants) mais dans l’ordre du discours. La raison désigne alors la capacité humaine à produire des enchaînements de propositions qu’on appelle raisonnements, et dont la cohérence interne provient du respect de règles logiques précisément définies.
Il s’agit toutefois de ne pas confondre les deux sens précédents, qui concernent une faculté de l’esprit avec le substantif « raison », lorsqu’il s’emploie dans des expressions comme « j’ai mes raisons », « quelle est la raison de cette conduite ? ». Dans ce cas raison signifie « motif », « intention », voire « cause », et c’est là un sens qu’on ne peut rattacher aux précédents, car une raison au sens de motif peut être tout à fait irrationnelle : ainsi le comportement insensé d’un ivrogne peut avoir pour raison sa trop grande ivresse. Or cette raison là n’implique en aucun cas l’usage, dans son attitude, de sa raison.


5.2. Qu’est-ce qu’une croyance ?

La croyance est l’adhésion à une proposition dont la justification objective est insuffisante. Ainsi on peut fort bien affirmer qu’il existe de la vie ailleurs que sur Terre ; mais tant que l’on ne l’a pas prouvé, soit par démonstration à partir d’une connaissance des principes qui régissent l’univers, soit expérimentalement en ramenant des formes de vie d’expéditions spatiales, cela reste une croyance. Cette définition explique la connotation souvent péjorative qui est associé au mot « croyance ». Dire « je crois que… », c’est souvent sous-entendre que l’on n’est pas sûr de ce que l’on avance, que c’est une simple supposition, une pure hypothèse. Quel rôle pourrait alors bien jouer la croyance dans la connaissance, puisqu’elle n’apporte rien qui permette de garantir sa vérité ? Pourtant, lorsque les historiens se penchent sur les croyances du passé, celles que les Grecs accordaient à leurs mythes, ou celles que les peuples du Moyen Age accordaient à ce qu’on a appelé « les croyances populaires », on ne trouve pas cette incertitude qui nous a permis de la définir. Durant toute l’Antiquité, les Gaulois croyaient « dur comme fer », pendant les orages, que le ciel pouvait leur « tomber sur la tête ». Au Moyen Age, la peur du Diable hantait l’Europe occidentale et conduisit à de nombreuses exécutions de « sorcières ». Durant l’An 1000, on croyait que le passage au nouveau millénaire allait être le moment de la fin du monde. Mieux encore, le croyant, celui qui a la foi, juif, chrétien ou musulman, est empli de la certitude qui anime sa foi. Rien n’est plus éloigné de lui que l’idée de supposition ou d’hypothèse.


5.3. Peut-on parler de croyances rationnelles ?

Dans ce contexte, est-il alors possible de concilier croyance et connaissance rationnelle ? Jean-Jacques Rousseau a posé, dans l’Emile, la question pour ce qui concerne la croyance qui fonde le sentiment religieux, à savoir la croyance en Dieu. Et selon lui, « les plus grandes idées de la Divinité nous viennent par la raison seule », ce qui signifie que l’idée de Dieu n’est pas pour lui une simple croyance, mais une certitude absolue. Plus exactement, cette croyance est ce qu’on pourrait appeler une « croyance rationnelle ». Les religions n’ont fait que brouiller cette certitude, en l’habillant d’histoires diverses et de révélations variées, celles que racontent les grands textes sacrés, Talmud, Bible ou Coran. Rousseau soutient que les grandes religions monothéistes auraient pour moteur les passions et non la raison. Ces passions brouilleraient l’image même que les religions se font de Dieu. C’est pourquoi Rousseau écrit que « leurs révélations ne font que dégrader Dieu, en lui donnant les passions humaines ». Qu’on pense ici au Dieu vengeur, sujet au courroux, au Dieu jaloux et vindicatif de l’Ancien Testament. Chaque peuple a « imaginé » Dieu selon des modes spécifiques, ancrés dans sa culture, son histoire, mais aussi ses intérêts du moment: « dès que les peuples se sont avisés de faire parler Dieu, chacun l’a fait parler à sa mode et lui a fait dire ce qu’il a voulu ». Pour influencer les hommes, les religions auraient rajouté ces faits extravagants qu’on appelle les miracles, dont le témoignage est censé affermir la foi. Cette diversité de représentation explique la diversité des cultes, et la division entre les hommes qu’elle suscite.


5.4. Est-il raisonnable de croire en Dieu ?

Le débat précédent peut-être toutefois posé différemment si l’on choisit de parler du raisonnable et non plus du rationnel. Il existe en effet une différence entre ces deux adjectifs. L’usage philosophique réserve le terme de rationnel au domaine de l’explication par les voies du raisonnement d’un phénomène naturel ou psychologique. On dira ainsi qu’une théorie scientifique rationalise un phénomène observé en trouvant la loi physique qui le rend intelligible. Ainsi le physicien anglais Newton rationalise les mouvements des corps célestes grâce à sa théorie sur la gravitation universelle. L’adjectif raisonnable, lui, sert à caractériser un comportement dicté par la raison, et, implicitement, tourné vers le bien moral ou le pragmatisme. Se conduire raisonnablement, c’est par exemple respecter son prochain, éviter les excès, ménager sa santé, etc. A la lumière de cette distinction on peut alors se demander si les croyances peuvent ou non induire des comportements raisonnables chez les hommes qui en sont l’objet. Les détracteurs de la religion, comme le seront au XIX° siècle des figures aussi influentes que Marx ou Nietzsche, n’ont pas manqué de stigmatiser dans leurs écrits le comportement déraisonnables de certains cultes : les rites suivis par les croyants sont déraisonnables lorsqu’ils nient le corps, et lui font subir des mortifications ; les guerres de religions qui traversent l’histoire humaine sont déraisonnables, car elles sont en contradiction avec l’amour du prochain, message principal des grands monothéistes.
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MessageSujet: Re: Cours de philosophie pour classes terminales en ligne   Cours de philosophie pour classes terminales en ligne I_icon_minitimeDim 15 Avr - 18:41

6. L’expérience


6.1. Les différents sens du mot expérience

Le mot expérience possède plusieurs sens, qui désignent chacun un mode de connaissance différent :

Ainsi lorsqu’on parle de l’expérience sensible, on évoque cette connaissance immédiate du monde que nous transmettent nos cinq sens. Mais qu’appelle-t-on exactement une perception ? Pour le sens commun, une perception est une représentation (visuelle, tactile, auditive) qui reflète sur le plan mental un réel extérieur à nous, lequel nous affecte par l’entremise de nos organes sensoriels.

Dans un deuxième sens, on peut parler de l’expérience vécue, c’est-à-dire de tous les événements qui traversent l’histoire individuelle d’une personne. Lorsque ces événements forment un savoir accumulé au fil des ans, on dit alors de cette personne qu’elle a « de l’expérience ».

Il existe enfin un troisième sens, celui qui a trait à l’expérience scientifique. Celle-ci se définit comme un essai organisé artificiellement pour vérifier une hypothèse, et on la nomme aussi expérimentation.

L’écrivain français Michel Tournier a précisé, dans un ouvrage intitulé Le vent Paraclet, toutes les ambiguïtés du mot français « expérience », que l’on vient de démêler, ambiguïté que ne connaissent pas d’autres langues. Ainsi la langue allemande possède deux mots distincts (Experiment et Erfahrung) qui permettent de séparer l’expérience comme « sagesse vécue » et l’expérience au sens « expérimentation impersonnelle et objectivante ».


6.2. L’expérience sensible est-elle la source de toute vérité ?

Y a-t-il des types de vérité plus assurés, plus vrais, que celles que nous apporte l’expérience sensible ? Quoi de plus certain et de plus évident que ce que je vois. « Je ne crois que je ce que je vois » dit la formule courante, à la manière du Saint-Thomas biblique. Le philosophe latin Lucrèce, dans l’Antiquité, confirmera dans son De la nature des choses, cette option selon laquelle aucun témoignage n’a plus de vérité que celui de nos sens, et il faut donc faire une confiance absolue à nos perceptions. Pourtant, la pensée antique, avec Platon, se montre particulièrement méfiante à l’égard des sens, qui peuvent se révéler souvent trompeurs : les mirages, les illusions d’optique, l’écho, les illusions tactiles comme celles des amputés (qui croient encore sentir leur membre coupé) permettent de jeter le doute sur le témoignage des sens, qui se révèlent souvent de mauvais témoin. C’est la même critique que le courant appelé scepticisme adressera au témoignage des sens, et étendra à toute forme d’expérience de connaissance, au point d’affirmer qu’on ne peut rien connaître de certain, et ce dans aucun domaine.



6.3. Descartes et l’expérience de la vérité

Descartes, dans le Discours de la méthode, va s’appuyer sur cette suspicion jetée par les anciens à l’égard des sens pour tenter d’établir une vérité indubitable. Il cherche une raison de douter de tout ce que nous connaissons par le témoignage de nos sens, à savoir nos perceptions. Or, on l’a vu, il apparaît que nos sens nous trompent quelquefois, comme n’ont pas manqué de le faire remarquer les sceptiques, on l’a vu, en parlant de toutes ces illusions d’optique qui abusent tous les hommes. Descartes en tire prétexte pour passer du particulier au général : puisque nos sens nous trompent quelquefois, faisons comme s’ils nous trompaient toujours, ce qui nous permet alors de supposer « qu’il n’y avait aucune chose qui fût telle » que nos sens nous la représentent. Descartes s’attache ensuite aux vérités obtenues par le raisonnement. La tâche est plus difficile car les vérités des mathématiques semblent indubitables. Descartes imagine alors qu’il existe un « Dieu trompeur », « qui se plaît à [le] tromper à chaque fois [qu’il fait] un calcul ». Mais ce motif est peu satisfaisant car il suppose un Dieu « méchant », ce qui est contradictoire. Pour Descartes, l’idée de Dieu contient en effet celle de sa bonté. Il faut donc lui en substituer une autre, par exemple celle d’un « malin génie », « qui se plairait à [le] tromper en tout et tout le temps ». Cette idée n’est pas contradictoire, car un malin génie peut être conçu sans contradiction comme malicieux. Ainsi cette « hypothèse » lui permet-elle de faire comme si « toutes choses qui [lui] étaient jamais entrées en l’esprit n’étaient non plus vraies que les illusions de [ses] songes ». Quelle valeur peut avoir cette dernière supposition qui semble extravagante ? En réalité, cela importe peu si cette idée peut réussir à porter le doute jusqu’à ses ultimes conséquences. Ce qui importe à Descartes c’est de savoir si, dans une telle hypothèse, une vérité peut subsister, droite et ferme, après qu’il a fait « table rase » de toutes ses anciennes opinions. Or une telle vérité existe : « pendant que je voulais ainsi penser que tout est faux, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose. » Car douter est un acte de la pensée et penser, c’est être. Au cœur même du doute s’affirme donc la réalité de la pensée et de l’être, et cette vérité, « Je pense, donc je suis », qui a résisté au doute, qui a surgi du doute même, « était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler ».
Cette vérité n’est pas d’ordre général. Elle s’actualise à chaque fois que, dans la singularité de son être, on effectue ce travail de doute. Elle signifie qu’à chaque fois que l’on remet en question la totalité du savoir, on affirme en même temps la réalité de sa pensée et la certitude de son être. C’est pourquoi Descartes peut la recevoir comme « le premier principe », le plus indubitable, de sa philosophie.


Cette célèbre démarche vers le vrai, qui passe par une mise en doute de l’expérience sensible, pour mieux la retrouver ensuite, est une authentique expérience de la vérité, que les philosophes ultérieurs, en particulier Hegel, appelleront « l’expérience des commencements », c’est-à-dire l’expérience de la fondation originaire du savoir humain.
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7. La liberté


7.1. Liberté et déterminisme

Affirmer que l’homme est libre ne suffit pas. Libre, mais par rapport à quoi? Par rapport à la société, par rapport à son passé, à son milieu, à son corps? Par rapport à une contrainte ? Si l’homme est vraiment libre, il faudrait encore comprendre comment celui-ci trouve sa place dans un univers naturel dont la science nous montre qu’il est entièrement déterminé par des lois. Les nuages ne se déplacent pas « librement » dans le ciel. Ils vont et viennent conformément à des courants. Les animaux ne se comportent pas « librement » dans la nature. Ils suivent les lois de la nature que leur commande leurs instincts.
On appelle déterminisme la doctrine qui soutient que tout les événements de la nature sont soumis à une nécessité rigoureuse et invariable, de telle manière que si nous connaissions les lois dont la nature est faite et la positions exacte de chaque objet, nous pourrions prévoir exactement de ce qu’il adviendra de l’état de l’univers dans le futur. C’est là la définition du physicien français Laplace, pour qui les événements naturels peuvent se penser dans le cadre d’un déterminisme strict, où tout événement est effet d’une cause antérieure précisément déterminée. C’est un peu comme si l’univers physique était un jeu de billard où une boule cogne une autre boule et en provoque le déplacement nécessaire et prévisible, et ainsi de suite à l’infini.


7.2. La notion d’autonomie

Considérons maintenant un événement cette fois-ci humain. C’est par exemple l’apparition d’une idée dans mon esprit, la décision que je prends d’accomplir une action, le choix que j’effectue consciemment et de manière très délibérée. On appelle « libre arbitre » ce pouvoir de commencement absolu qui viendrait briser la chaîne déterminée des causes et des effets, de telle manière que l’acte libre ne soit déterminé par rien d’autre que par sa propre puissance. Or à ce titre, la liberté paraît une sorte d’offense au statut général du règne de la nature. Comment le jaillissement d’une liberté dans le tissu serré du déterminisme est-elle concevable ? La réponse tient en ceci que la liberté, si elle existe, suppose la spontanéité. Le mot « spontanéité » désigne ici le pouvoir d’être origine première d’un événement qui ne soit pas l’effet d’une chaîne causale antérieure, strictement déterminée par les lois de la nature. La spontanéité libre suppose aussi la conscience. L’homme libre doit agir en pleine conscience de ses actes. Il doit être capable de peser le pour et le contre, de délibérer et de choisir entre des possibles, puis d’agir pour produire quelque chose qui deviendra dans la nature une cause capable de modifier ce qui est. La liberté suppose donc un sujet conscient et rationnel. Puisque l’homme libre n’obéit qu’à la loi de sa propre nature, il est aussi autonome. Il n’échappe pas à toute loi, il se donne à lui même sa loi. Être autonome, c’est échapper à la détermination d’une nature qui nous est étrangère en n’obéissant qu’à la loi de sa propre nature.


7.3. Le libre-arbitre

Considérons le problème sous un autre angle, celui du vécu conscient : qu’est-ce qui nous prouve l’existence d’un libre-arbitre ? Nous faisons une expérience claire de notre pouvoir de choisir. Nous éprouvons ce pouvoir en présence de plusieurs possibles qui s’offrent à nous. Nous percevons en nous une volonté libre, réfléchie, maîtresse d’elle-même. Cette expérience consciente se suffit à elle-même pour attester de la présence de la liberté en l’homme. « La liberté de notre volonté se connaît sans preuve, par la seule expérience que nous en avons » écrivait déjà Descartes au XVII° siècle. Autrement dit, la preuve de la liberté, c’est la liberté elle-même en acte, telle que nous la rencontrons dans notre expérience.
Cette liberté se fonde sur la liberté de vouloir ou de ne pas vouloir, puissance qui appartient au sujet humain de manière très intime. Mais encore faut-il que cette puissance soit exercée comme il faut. Pour que nos actes soient libres, il est important que l’action soit délibérée. Il ne s’agit pas seulement de dire que nous avons une latitude de mouvement pour agir, mais surtout de se demander si l’esprit est libre dans l’action. Or c’est bien cette liberté que nous perdons quand nous sommes submergés par les émotions, quand nous suivons une suggestion inconsciente sans nous en rendre compte, quand la passion nous pousse là où elle veut aller et où nous ne faisons que suivre. Le joueur invétéré ne choisit plus d’aller à la table de jeu. Il y est conduit malgré lui. La fascination du jeu l’emporte et il n’est plus alors qu’un automate dont toutes les réactions sont réglées par avance. Sa volonté n’a plus de prise sur lui.


7.4. La puissance de la volonté

L’homme libre doit donc conserver sa lucidité devant le réel, son pouvoir de délibération, car s’il perdait toute lucidité et tout pouvoir de délibération, il perdrait du même coup sa liberté. Tout se joue donc au niveau de la disponibilité à elle-même de l’intelligence. Où bien je me soumets aveuglément aux séductions du plaisir, de l’attrait du désir, ou bien je ne me laisse déterminer que par des motifs intellectuels qui résultent d’une considération juste et saine de la situation d’expérience actuelle. Pour que je puisse juger sainement, il faut que mon intelligence garde son indépendance, observe un retrait et ne soit pas asservie au domaine des sens. C’est là une exigence élevée, mais ce pouvoir est peut-être en nous.
C’est là pour Descartes une évidence incontestable : « il est évident que nous avons une volonté libre qui peut donner son consentement ou ne pas le donner quand bon lui semble, que cela peut-être compté pour une de nos plus commune notions ». La volonté s’appartient à elle-même, parce que la conscience s’appartient à elle-même. Dans ce contexte on appelle « volontarisme », le courant de pensée qui affirme que le pouvoir de la volonté existe et qu’il est certainement le plus grand pouvoir dont l’homme dispose, celui qui le rend capable de tout. La volonté est en l’homme une puissance absolue, car si nous ne pouvons pas tout comprendre, il est possible de tout vouloir.
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8. La justice et la loi



8.1. Qu’est-ce que la justice ?

Le mot justice vient du latin jus, qui signifie « le droit ». Cette étymologie masque en réalité la diversité des sens de ce terme, qui peuvent être regroupés en trois catégories :
- un sens institutionnel : dans ce cas, la justice désigne l’institution judiciaire, avec ses magistrats, ses lois, ses modes de fonctionnement, etc. Sens perceptible dans une expression comme « faire confiance à la justice de son pays ».
- un sens légal : dans ce cas, respecter le justice signifie la même chose que respecter les lois positives d’un Etat. « L’injuste » est celui qui transgresse la loi. Et c’est la légalité qui définit strictement les critères du juste et de l’injuste.
-un sens moral, comme dans l’expression « avoir le sens de la justice », être un « Juste ». La justice est dans ce cas une valeur intériorisée, et dépasse le cadre des lois positives d’un Etat. En effet ce « sens de la justice » peut nous amener à désobéir aux lois, s’il nous fait percevoir qu’elles sont injustes. Ce n’est plus alors la légalité qui définit les normes du juste et de l’injuste, mais le sentiment qu’il existe des valeurs transcendantes à celles instaurées par les lois positives, valeurs que toute une tradition rattache à la notion de droit naturel.


8.2. Justice commutative et justice distributive

La pensée antique a défini deux conceptions différentes de la justice, entendu d’abord comme valeur morale, que les lois d’un Etat pouvaient (ou non) tenter d’incarner à travers la législation mise en place dans la Cité. Aristote dans l’Ethique à Nicomaque en a bien dessiné les contours : la justice commutative désigne la justice appliquée aux échanges économiques, aux relations de contrat aussi, fondées sur le principe de l’équivalence des choses, abstraction faite des inégalités entre les personnes contractantes. Par extension, on a appelé justice distributive celle qui prétend établir l’équilibre le plus strict possible entre un délit ou un crime et le châtiment par lequel on doit le sanctionner. Le Code Hammourabi, mis en place à Babylone vers 2000 av. J-C, correspond à cette définition. Il est fondé sur un principe que la Bible appellera plus tard la loi du Talion : « œil pour œil dent pour dent ». Ainsi, dans ce Code, on trouve par exemple l’article qui précise que si la maison construite par un architecte a tué l’enfant du propriétaire en s’effondrant (en cas de malfaçon), on tuera l’enfant de l’architecte. Si c’est un esclave, on tuera l’esclave de l’architecte, etc. Cette forme de justice pénale est aveugle et ne prend pas en compte le contexte d’un délit, ni la personnalité de l’accusé. Elle est purement « mathématique ». La justice distributive désigne, quant à elle, une conception de la justice fondée sur la répartition des biens proportionnellement aux mérites. C’est une justice proportionnelle qui ne traite pas tout le monde la même manière, pour précisément rétablir une certaine équité. Dans le domaine pénal la justice est distributive quand, contrairement à la loi du Talion, elle n’appuie pas aveuglément le châtiment sur le principe d’une stricte égalité entre le dommage et la peine. Celle-ci doit être proportionnelle à la faute (on ne va pas juger de la même manière un crime passionnel et un meurtre d’enfant prémédité), et à la personnalité de l’accusé (si on ne va pas juger de la même manière un mineur, une personne atteinte de troubles psychiatriques ou un récidiviste).


8.3. Le problème de la relativité de la justice légale

Des deux conceptions précédentes de la justice, c’est la seconde qui a triomphé, dans le droit français en particulier, la « loi du talion » étant très vite considérée comme une forme à peine déguisée de la vengeance. Toutefois, au XVII° siècle, Pascal sa su montrer que le vrai problème de la justice ne concernait pas l’adoption de l’un ou l’autre des principes qui viennent d’être évoqués. Concrètement, sur un plan purement historique, on s’aperçoit que le vrai problème concerne les normes de l’interdit et du permis, variables d’un Etat à l’autre, qui n’est qu’une des facettes de la relativité des conceptions culturelles du Bien et du Mal.

Ce problème est encore le notre aujourd’hui, puisque en passant d’un pays à l’autre, on peut s’apercevoir que certaines actions qui tombaient sous le coup de la loi est ici est totalement toléré là-bas. Comment alors peut-on avoir une haute idée de la justice, et même la prendre au sérieux ? Cette question, Pascal y répond dans Les Pensées, en déclarant : « Plaisante justice qu’une rivière borne ! ». Il suffit parfois en effet de traverser la rivière ou le fleuve qui sépare un pays d’un autre pour que tous les critères ou presque du juste et de l’injuste soient subvertis par une législation différente. Mais Pascal ne se contente pas seulement de dénoncer l’incapacité de la raison à déterminer les principes de la justice authentique et universelle. Sur cette impuissance, nous dit-il, les hommes tirent des conclusions sur la nature de la justice, contre lesquelles il s’oppose.

Les philosophes, en effet, au lieu de remettre en cause la relativité des conceptions du juste et de l’injuste, ne trouvent rien de mieux que d’essayer de la légitimer, ajoutant encore plus à la confusion. L’un, confondant la justice de Dieu et le pouvoir du souverain, affirmera que « l’essence de la justice est l’autorité du législateur » et que c’est lui, qui du haut de l’arbitraire de son bon vouloir, décide de ce qui doit être considéré comme juste ou injuste. Tel autre affirmera que cette autorité repose sur « la commodité du souverain », sur ce qui lui agrée et constitue son intérêt propre. D’autres enfin soutiennent que la seule autorité de la justice provient de la force de la coutume, le temps et l’usage ayant ainsi force de loi. Cette forme de scepticisme moral repose sur l’idée que la raison ne nous découvre aucune justice absolue. Or, ici, les philosophes établissent, selon Pascal, un faux lien causal et concluent abusivement, de l’impuissance de la raison à déterminer les critères de la justice universelle à sa relativité fondamentale. C’est surtout la coutume qui pousse les hommes à croire de telles choses : « la coutume fait toute l’équité », croit-on, et pour cette seule raison qu’elle a été reçue par les Anciens. Or pour Pascal, le véritable fondement de la justice est celui que nous révèlent les Saintes Ecritures de la Bible, et pour les élus, les lumières de la foi. Or la raison humaine est incapable d’atteindre cette vérité qui concerne le cœur, non la raison ni la coutume.
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9. Le Bonheur


9.1. Peut-on définir le bonheur ?

Il est habituel, aujourd’hui, d’insister sur le fait que chacun possède sa propre conception du bonheur, et que celle-ci est parfaitement subjective. De la grande diversité des définitions qui s’ensuivent naîtrait alors l’indétermination du concept de bonheur. Cela se comprend aisément : un concept collecte des caractères communs, or les représentations du bonheur sont si variées qu’aucune synthèse n’est possible. Dans un texte demeuré célèbre, Les fondements de la métaphysique des mœurs, le philosophe allemand Kant ajoute que « le concept du bonheur est un concept indéterminé », en raison de l’ignorance objective et universelle dans laquelle se trouve placée tout homme, en ce qui concerne les actions qui pourraient « déterminer d'une façon sûre et générale » le bonheur. Si la question du bonheur est pour l’homme tout à fait insoluble, c’est selon lui par défaut de connaissance de la causalité lointaine, c’est-à-dire à long terme, des événements et des actions qu’il peut produire. Kant donne donc à son approche de la question du bonheur une dimension ontologique, ce qui signifie que c’est l’être de l’homme, qui est « fini », qui explique cette impossibilité de connaissance du bonheur. Il faudrait l’omniscience de Dieu, c’est-à-dire la connaissance de toutes les conséquences futures d’une action donnée, pour pouvoir dire avec certitude que telle décision et non telle autre va, au final, nous rendre véritablement heureux.
En outre, on peut croire que l’on agit pour son bonheur, en oeuvrant en réalité sans le savoir pour son malheur: «L’homme veut-il la richesse ? Que de soucis, que d'envie, que de pièges ne peut-il pas par là attirer sur sa tête! Veut-il beaucoup de connaissances et de lumières? Peut-être tout cela ne fera-t-il qu’aiguiser une clairvoyance qui le rendra au final pessimiste et malheureux ». C’est pourquoi Kant conclut-il que, dans l’impossibilité où nous sommes de déterminer avec une entière certitude ce qui, parmi tous nos désirs, peut véritablement nous rendre heureux, la question du bonheur « est un problème tout à fait insoluble ».


9.2. Bonheur et plaisir

En dépit de cette analyse, la philosophie antique a pourtant traditionnellement défini le bonheur comme un état de complète satisfaction s’étendant dans la durée, satisfaction que la diversité de nos facultés, sensibles ou intellectuelles, nous permet d’éprouver. Elle oppose bonheur et plaisir, sous le motif que ce dernier est toujours partiel, bref et fugitif. Ce qui nous fait plaisir ne nous rend pas forcément heureux. Ainsi celui qui trouve dans l’ivresse alcoolique un plaisir physique, peut en même temps souffrir moralement de sa dépendance. L’idée du bonheur, elle, suppose une plénitude, comme s’il fallait pour être vraiment heureux, que la totalité de notre être, corps et âme, participe à un contentement sans faille.
L’idée de plénitude qui caractérise dans la pensée antique le bonheur a été poussée si loin que les Grecs considéraient qu’on ne pouvait pas dire si une personne avait été heureuse de son vivant. Il fallait attendre sa mort pour dresser en quelque sorte un bilan de son existence, car durant sa vie, un homme pouvait connaître un malheur d’une telle gravité que tout ce qu’il avait pu vivre d’heureux auparavant pouvait être « gâché » ou remis en cause par lui. C’est donc l’examen de la vie entière, dans sa plénitude qui peut seule déterminer si tel ou tel homme a vraiment connu le bonheur.


9.3. La politique peut-elle réaliser le bonheur ?

D’autres conceptions moins radicales ont fait du bonheur, dans l’Antiquité, une question à la fois individuelle et politique. Ainsi Platon affirme dans La République qu’être heureux c’est faire l’activité à laquelle on est destiné par nature. Les uns sont faits pour être des guerriers, les autres des artisans, les troisièmes des philosophes, etc. Or cette conception « naturaliste » du bonheur rencontre la question politique, car encore faut-il qu’un Etat donne les moyens aux hommes de réaliser leur nature, sans quoi ils connaîtront le vrai malheur, celui d’être une nature contrariée, signe d’une « non-réalisation » de soi. C’est pourquoi le bonheur ne peut-il pleinement se réaliser que dans une Cité Juste, qui donne à chacun la place qui lui est due. Cette Cité Juste est décrite par Platon dans La République, et la Justice est précisément la bonne répartition des tâches en fonction des dispositions naturelles de chacun. En ce sens, justice et bonheur se confondent.
Bien des siècles plus tard, la relation entre politique et bonheur resurgira de manière éclatante à travers la thématique des droits de l’homme. L’article I de la Constitution de 1793 proclame en effet que « le but de la société est le bonheur commun », là où plus timidement la Déclaration d’indépendance américaine du 4 juillet 1776 indiquait que « la recherche du bonheur » était un des droits inaliénables de l’homme.
Mais quel est donc ce bonheur dont nous parlaient les Constituants de 1793 ? Ne peut-il s’agir d’autre chose que de l’intérêt général, celui de la nation tout entière ? Dans ces conditions comment l’articuler avec le bonheur privé, enraciné dans l’égoïsme de l’intérêt personnel ? Bien avant la Révolution, puisque ses écrits lui sont antérieurs, Rousseau répond dans l’article « Du bonheur public » de ses Fragments politiques, par ce mot d’ordre : « rendez l’homme un vous le rendrez heureux autant qu’il peut être ». Cette unité ne peut se faire que si le bonheur public ne se réalise pas au détriment du sentiment de bien-être de chacun. Pour cela il faut « mettre la loi sociale au fond des cœurs », de sorte que convergent en un même foyer intérêt de chacun et intérêt général, bonheur individuel et félicité de la république.


9.4. Le bonheur est-il une affaire de vie privée ?
Les débats contemporains sur la question du bonheur témoignent d’une méfiance accrue envers toutes les idéologies politiques qui prétendent décider à la place des individus ce qu’il doit être. La détermination du bonheur a regagné, avec la fin des grandes utopies politiques, le domaine de la sphère privée, impliquant du même coup une dissociation nette entre le thème de l’intérêt général, et celui du bonheur privé. Cela signifie qu’a été admise par beaucoup l’idée selon laquelle l’État ne pouvait pas tout, et qu’on ne devait pas tout attendre de lui. Plus encore, il fallait admettre qu’un Etat qui œuvre pour l’intérêt de la collectivité ne favorisait pas nécessairement le bonheur des individus pris isolément.
Cette dissociation a permis de voir refleurir toutes les analyses qui ont fait du bonheur un concept indéterminé, variable selon les individus et leur complexion propre, à la manière, on l’a vu, de ce qu’écrivait Kant au XVIII° siècle. De nouveau on souligne que chacun place dans le mot « bonheur » tout ce que l’imagination est capable de produire comme désirs, espoirs ou fantasmes.
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